La Commission Inceste publie une analyse de 27.000 témoignages, recueillis depuis deux ans. Son objectif est d’insister sur l’importance de croire les victimes d’agressions sexuelles, et de les protéger.
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est lancée en janvier 2021. L’initiative du gouvernement fait suite de la publication de “La Familia grande”, un livre de Camille Kouchner dénonçant le silence qui entoure les crimes incestueux. L’autrice y évoque l’inceste commis sur son frère par son beau-père, l’ex-député européen Olivier Duhamel. Ce récit a permis à de nombreuses victimes de libérer la parole sous le hashtag #MeTooInceste.
160 000 enfants frappés par l’inceste chaque année
Par la suite, la Ciivise avait pour rôle de recueillir les témoignages des victimes et désigner des politiques publiques pour mieux contrer contre ce fléau, qui touche selon elle 160.000 enfants chaque année. En septembre 2021, un appel à témoignages est lancé: 26.949 récits ont été recueillis, dont 12.750 par téléphone, 4.575 par courrier ou courriel, et 8.969 sur son site internet, révèle-t-elle à l’AFP.
La commission a entendu 755 témoignages lors des 24 réunions publiques qu’elle a organisées dans les grandes villes de France, dont Nantes, Lille, Bordeaux, Strasbourg ou encore Fort-de-France. Elle tiendra jeudi une nouvelle réunion publique à Paris, au Palais de la Femme.
La Ciivise veut montrer, dans son rapport qui paraît jeudi, que la manière d’accueillir la parole des victimes impacte ensuite leur vie, leur santé, leurs conduites addictives.
“La façon dont l’enfant est entendu, cru et protégé, va avoir un impact sur sa santé tout au long de la vie”
explique Edouard Durand, le coprésident de la Ciivise et juge pour enfants.
“Les violences sexuelles faites aux enfants, ce n’est pas que du privé, une somme ahurissante d’histoires privées. C’est un problème collectif, d’ordre public, de santé publique”, insiste-t-il.
39% des victimes non-protégées développent des addictions
Des comportements d’autodestruction peuvent se développer chez la victime si son confident/ sa confidente rejette la faute sur elle: 39% ont des addictions (drogue, médicaments, alcool) contre une personne sur quatre qui a été protégée, constatera ainsi la Ciivise à partir des témoignages.
En mars 2022, la commission fait vingt préconisations de politique publique pour mieux repérer, écouter, protéger, soigner les victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Parmi elles, une campagne gouvernementale qui interpelle en étant la première à prononcer le mot “inceste”, qui s’affiche actuellement dans les lieux publics et à la télévision.
La parole commence à être entendue publiquement
Au même moment, la télévision met le projecteur sur ce sujet longtemps tabou: M6 diffusera dimanche le documentaire “Un silence si bruyant”, où l’actrice Emmanuelle Béart donne la parole à des adultes, dont elle-même, victimes d’inceste dans leur enfance. TF1, elle, diffusera “Les yeux grands fermés” le 2 octobre : téléfilm où Muriel Robin incarne une grand-mère confrontée à des révélations d’inceste.
Seulement 3% des plaintes pour viols aboutissent à une condamnation
“La campagne gouvernementale va conduire à ce que des enfants victimes soient portés à la connaissance des institutions”, se félicite le Edouard Durand. Toutefois, “à ce jour 70% des plaintes pour violences sexuelles sur mineur sont classées sans suite” et seuls “3% des plaintes pour viols sur mineur aboutissent à la condamnation du mis en cause”, a-t-il déploré.
Pour rester l’oreille attentive des victimes et renforcer les politiques publiques, la Ciivise demande que son existence soit prolongée au-delà de son rapport final attendu le 20 novembre. Une soixantaine de personnalités ont réclamé son maintien dans une tribune publiée ce mois-ci. Parmi elles: Camille Kouchner, Emmanuelle Béart ou Vanessa Springora. “La fermer, c’est dire aux victimes: On vous a assez entendues”, écrivent-elles.