Viol : « On m’a dit que j’aurais dû me défendre plus » : quand la justice maltraite les victimes

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La rédaction

Préjugés sexistes, questions déplacées, remarques culpabilisantes… Pour de nombreuses victimes de violences sexuelles, la procédure judiciaire s’apparente à une « double peine ». Longtemps dénoncée par les associations et les militantes féministes, la notion de « victimisation secondaire » commence enfin à être reconnue en France.

La justice : un second traumatisme pour les victimes

« Cette violence-là, ça nous détruit », témoigne Clara Achour, violoncelliste de 25 ans. L’ami qu’elle accusait de viol sous sédation a été acquitté, au terme d’une procédure qu’elle décrit comme « très longue » et « violente ». « On m’a dit que comme j’étais une jeune fille, forcément j’étais très naïve, que c’était un petit peu de ma faute, que j’aurais dû me défendre plus, et qu’est-ce que je faisais dans une soirée sans mon amoureux ?! », déplore-t-elle.

Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) souligne que ces cas de « victimisation secondaire » sont fréquents et constituent « à chaque fois de véritables claques » pour les victimes. « Cela va de la lenteur de la procédure à l’enquête menée à charge plutôt qu’à décharge, en passant par le regard porté sur la vie de la victime sans penser à l’acte subi », explique Emmanuelle Piet, présidente de l’association.

Cette réalité transparaît dans de nombreux dossiers judiciaires. « Cela intervient dans toutes nos affaires, soit par l’avocat de la défense, soit par les acteurs de la justice eux-mêmes, au stade policier, lors de l’expertise, des confrontations ou de l’instruction », déplore Me Carine Durrieu-Diebolt, avocate de plaignantes contre Gérard Depardieu. Sa consœur Anne Bouillon, spécialiste des droits des femmes, décrit quant à elle une « course d’obstacles » pour les victimes, « violentées par ceux-là même qui sont censés les protéger ».

La « victimisation secondaire » : le fléau des victimes qui portent plainte

La notion de « victimisation secondaire » a été mise en lumière lors du procès des viols de Mazan, lorsque Gisèle Pelicot a exprimé sa colère face à l’accusation selon laquelle elle aurait été complice de son ex-mari, qui l’a livrée à des hommes après l’avoir droguée. « J’ai l’impression que la coupable, c’est moi et que derrière moi, les 50 sont victimes », a-t-elle déclaré, avant d’ajouter : « Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte. »

Plusieurs victimes ont porté leur dossier devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Clara Achour y a dénoncé « l’absence d’enquête et de poursuites effectives ». Sept autres femmes ont fait de même, dont Emily Spanton, qui avait accusé deux policiers du « 36 quai des Orfèvres » de viol en 2014. Son avocate, Me Sophie Obadia, espère que la CEDH reconnaîtra que son « traitement » judiciaire « a pu causer chez elle un traumatisme qui définit le concept de victimisation secondaire ».

En 2021, la CEDH avait déjà condamné l’Italie pour avoir véhiculé, dans une décision de justice, « les préjugés sur le rôle de la femme qui existent dans la société italienne ». Depuis, la « victimisation secondaire » a été intégrée à la première directive européenne sur les violences faites aux femmes, adoptée en mai 2024.

Des « lois-boucliers » encore absentes en France

Face à ces critiques, la chancellerie assure « travailler » sur cette question, même si elle refuse tout commentaire sur la procédure en cours à la CEDH. L’objectif, explique un représentant du ministère, est de « concilier cette attention qu’on doit (aux victimes) avec les nécessités probatoires (…), pour pouvoir aboutir à une poursuite et à une condamnation ».

Certaines voix appellent toutefois à des réformes plus radicales. « En Belgique, Canada, Espagne, Suède, il y a des lois-boucliers : on ne peut pas poser toutes les questions sur la vie privée de la victime s’il n’y a pas de lien direct avec les faits », souligne Me Durrieu-Diebolt. « En France, malgré des progrès, on est encore à l’époque de la préhistoire. »

Pour Anne Bouillon aussi, « les choses s’améliorent », mais cela « reste disparate, y compris au sein d’un tribunal, d’une même brigade de gendarmerie. Le meilleur existe, on peut aussi tomber sur le pire ».

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