Tokyo face au tourisme sexuel

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Mathéa Mierdl

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Mangas, parc zen, Mont Fuji, ou Sumo… bien que le Japon bénéfice d’un essor touristique, ça ne semble plus être la culture qui attire les étrangers. À Tokyo, une industrie parallèle se développe: le tourisme sexuel.

Une économie de l’ombre qui profite du boom touristique

À Kabukicho, quartier effervescent de l’ouest de Tokyo, les touristes affluent. Beaucoup s’agglutinent pour capturer des clichés de Godzilla, perché au sommet d’un cinéma, rugissant et crachant de la fumée. Mais, à quelques pas de là, une toute autre scène se déroule : une économie parallèle du sexe prend de l’ampleur, presque à découvert.  Dans le parc Okubo, des dizaines de jeunes femmes se tiennent immobiles, attendant les clients. Sous les lueurs bleutées des téléphones portables, ce coin devient le centre névralgique de la prostitution de rue. Arata Sakamoto, directeur de l’association “Rescue Hub”, explique que cette pratique restait marginale il y a dix ans, mais qu’elle explose depuis la pandémie de Covid-19. “De nombreuses jeunes femmes se mettent à proposer des services sexuels à bas prix, ce qui attire davantage de touristes étrangers”, observe-t-il.

Le Japon bat des records avec 36,8 millions de touristes accueillis l’an dernier, attirés notamment par la faiblesse du yen. Sur les réseaux sociaux, le phénomène s’amplifie : des vidéos de travailleuses du sexe, filmées à leur insu dans le parc, circulent sur TikTok ou Bilibili (plateforme de vidéos chinoise), récoltant des centaines de milliers de vues. Ria, une travailleuse du sexe de 28 ans, constate une nette hausse des clients étrangers. Beaucoup utilisent leur téléphone pour écrire « c’est combien ? », traduisant leurs demandes automatiquement. Les passes se négocient entre 15.000 et 30.000 yens, soit 92 à 184 euros, bien que ces montants diminuent en raison de la baisse du pouvoir d’achat, note-t-elle.

Le danger du vide juridique

Dans les locaux chaleureux de l’association “Rescue Hub”, une dizaine de jeunes femmes trouvent un peu de répit. Elles peuvent se restaurer, recharger leur téléphone et parler à des bénévoles. Azu, 19 ans, raconte gagner environ 20.000 yens par client, parfois plus. Mais derrière ce revenu se cachent des réalités sombres : violences, agressions sexuelles, non-paiement ou encore enregistrements vidéo non consentis. M.Sakamoto alerte sur les risques physiques et mentaux : propagation des MST, grossesses non désirées, avortements. Il souligne également que les travailleuses sont souvent livrées à elles-mêmes, dans une société qui, bien qu’ayant légalisé certaines formes de services sexuels, les abandonne dans une zone grise de la loi.

Depuis décembre, la police multiplie les patrouilles dans Kabukicho, forçant les prostituées à se disperser. Les autorités reconnaissent une hausse de l’activité, mais restent floues sur les mesures concrètes. Fait frappant : les travailleuses du sexe risquent six mois de prison et une amende pouvant atteindre 300.000 yens en cas de récidive, mais les clients, eux, ne sont pas pénalisés. Ria préfère désormais les clients étrangers : “On sait qu’ils ne sont pas policiers en civil.” Cette impunité du client interroge. Pour Sakamoto, des sanctions légales à leur encontre réduiraient la demande. Il plaide aussi pour des campagnes de prévention multilingues dans les aéroports, hôtels et quartiers touristiques.

En février, la police interpelle sept personnes, dont le gérant d’un salon de “massages sexuels” à Kabukicho, accusés de gérer une maison close pour touristes. Pour M.Sakamoto, cette affaire illustre la banalisation progressive d’une pratique illégale, poussée par le boom touristique.

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