Suicide forcé : toujours difficile à reconnaître

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Après 15 années de vie commune, Astrid.M met fin à ses jours en juin 2023 pour échapper aux violences psychologiques et physiques de son ex-compagnon. Cependant, le tribunal juge « incertaine » le lien de causalité entre ces violences et le suicide.

Un drame humain derrières les failles juridiques

Alors qu’elle subit les violences psychologiques et physiques du père de son fils, Astrid M. met fin à ses jours le 23 juin 2023. Dans une lettre d’adieu adressée à son fils, elle écrit : « Pardonne-moi, la pression sur moi est forte. Je suis une catastrophe. Madame catastrophe tire sa révérence« . Cependant, malgré les souffrances décrites et les nombreux témoignages, la justice ne retient pas le délit de “suicide forcé”, introduit dans le Code pénal en 2020. Ce délit punit de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende les comportements de harcèlement ayant mené au suicide ou à la tentative de suicide d’un conjoint ou ex-conjoint. Le tribunal judiciaire d’Évreux condamne l’ex-compagnon d’Astrid à seulement 24 mois de prison avec sursis. Il doit Il doit également suivre une obligation de soins, après avoir été reconnu coupable de violences envers son enfant et son ex-compagne, Astrid M.

Si selon Théo Touzeau, substitut du procureur d’Évreux, « Le lien de causalité entre le harcèlement et le suicide doit être certain et direct« , dans ce dossier, le doute persiste, et ce doute bénéficie à l’accusé. Bien qu’il reconnaisse néanmoins que le suicide d’Astrid M. survient dans un contexte de souffrance psychologique intense, nourrie par des violences psychiques continues et parfois physiques, la cour ne retient pas le délit de suicide forcé. Mais selon le parquet, l’origine du suicide reste “multifactorielle”, rendant juridiquement impossible l’attribution directe à son ex-conjoint. Fabien A., l’ex-compagnon en question n’échappe toutefois pas complètement à la justice : il doit répondre des violences avérées. Ce verdict laisse un goût amer à la famille d’Astrid. S’il marque une étape dans la reconnaissance judiciaire des violences intrafamiliales, il met aussi en lumière les limites de la justice face à des drames humains complexes.

Des preuves numériques 

Pour Me Audrey Chefneux, avocate de la sœur et de la mère d’Astrid, la réalité ne laisse aucune place au doute : Astrid M. a été brisée dans son estime d’elle-même, rabaissée, dénigrée, et même violentée devant son enfant. “Elle n’était pas dépressive, il l’a éteinte”, martèle l’avocate. Astrid vit pendant quinze ans dans une relation marquée par la domination, le contrôle et l’humiliation. Elle subit des insultes récurrentes, comme lorsque son compagnon la traite de “sac à merde”. Loin d’un conflit de couple ordinaire, il s’agit ici d’un harcèlement psychologique profond, prolongé, destructeur.

Astrid M. laisse derrière elle une lettre d’adieux, qu’elle photographie avant de la détruire. Cette preuve capitale est ensuite perdue par les gendarmes. Cette erreur accentue le sentiment d’injustice. Cependant, Astrid prend soin de documenter ses souffrances sur la plateforme “Mémo de vie”. Cet espace sécurisé permet aux victimes d’archiver des témoignages, des documents, et des récits de violences subies. Ces éléments restent, aujourd’hui encore, la trace numérique de son calvaire quotidien. Sous la forme d’un journal intime numérique, Astrid a répertorié les multitudes de calvaire qu’elle subissait. Malgré cela son ex-compagnon, violent également avec leur enfant, n’est pas reconnu responsable de son suicide. Face à ces différentes preuves, la défense reste inflexible et joue la carte du mensonge et de l’exagération. L’avocate de Fabien A., Me Karine Alexandre, adopte une ligne dure : « Si l’on s’engage sur cette pente glissante de croire tout ce que disent les femmes, notre société va avoir beaucoup de problème« . Selon elle, Astrid exagère sa souffrance. L’avocate va même plus loin en inversant les rôles : « Tous les hommes de France devraient trembler« . Une déclaration qui choque, et contraste avec le silence désormais éternel de la victime.

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