Sophie Binet devient la première femme de l’histoire de la CGT à occuper le poste de secrétaire générale. Représentante du syndicat des cadres, elle est un profil inattendu pour diriger la deuxième organisation syndicale française. Portrait.
“Emmanuel Macron, si tu continues, il va faire tout noir chez toi”. A peine l’annonce de son élection rendue publique à la tribune du 53e Congrès, Mme Binet a entonné avec la salle le chant des militants de la fédération Mines Energie. Une manière de tendre la main à cette CGT en pointe dans la lutte contre la réforme des retraites, en conflit ouvert avec la direction sortante. Elle s’est aussi adjoint comme administrateur le secrétaire général de la fédération des Cheminots, Laurent Brun, opposant déclaré à Philippe Martinez.
Secrétaire générale du syndicat des cadres CGT (l’Ugict) depuis 2018, elle est issue de la Commission exécutive confédérale, la direction élargie de la CGT, et était référente du collectif femmes mixité.
Féministe, elle a cosigné l’ouvrage “Féministe, la CGT ? Les femmes, leur travail et l’action syndicale”, publié en 2019. Ancienne membre du PS, elle est aussi engagée sur les questions environnementales. Dans son premier discours comme secrétaire générale, Sophie Binet s’est également félicitée des “orientations claires” adoptées par la CGT jeudi sur les “questions environnementales et sociales”, soulignant qu’il fallait savoir “être capable de porter au même niveau fin du monde et fins de mois”. Elle a rappelé l’importance des luttes contre les violences sexistes et sexuelles, qui ne “peuvent pas être secondaires”.
Sa candidature avait été évoquée au cours des derniers mois, mais son appartenance au syndicat des cadres apparaissait comme un handicap.
Elue par défaut?
Elle a été conseillère principale d’éducation (CPE) en lycée professionnel à Marseille, puis au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) de 2008 à 2010. Secrétaire générale de l’Union locale de la CGT de Metz, Nathalie Nasienniak s’est dite “ravie” de son élection vendredi. “Elle a beaucoup défendu la cause des femmes, c’est une cadre dans la petite hiérarchie, il ne faut pas faire de procès d’intention. C’est une femme rassembleuse“, dit-elle.
Candidate par “défaut“, élue après que ni Marie Buisson, la candidate proposée par Philippe Martinez, ni sa concurrente Céline Verzeletti n’ont réussi à rassembler une majorité, Mme Binet est apparue apparaissait comme la plus à même de rassembler l’organisation. “C’est quelqu’un qui a de l’expérience, c’était important que ce soit une femme pour tous les camarades. Ca règle les comptes, c’est balle au centre car c’est quelqu’un de neutre: c’est un autre choix que celui de Philippe Martinez, ce n’est pas l’opposition non plus donc c’est bien. On a depuis longtemps des cadres, on a besoin de cadres à la CGT, c’est aussi une bonne issue”, s’est félicité Nicolas Hinderschiett, représentant d’ArcelorMittal.
Mme Binet est une militante de longue date : engagée à la direction de l’Unef lors de la mobilisation contre le CPE en 2006, elle est entrée à la direction de l’Ugict-CGT en 2011.
Mme Binet est à l’aise dans son nouveau rôle. “Elle est déterminée, enthousiaste, charismatique”, s’enthousiasmait vendredi Thomas Deregnaucourt, membre de l’Ugict, saluant aussi le fait que la CGT envoie avec son élection “un signe qu’on est en phase avec le salariat”.
De rares femmes à la tête d’organisations syndicales
Sophie Binet rejoint la très courte liste des femmes ayant dirigé des organisations syndicales. Elles ne sont que quatre.
– Nicole Notat, la pionnière –
Nicole Notat a été la première femme à diriger une grande organisation syndicale en France, la CFDT, entre 1992 et 2002. Enseignante spécialisée dans l’enfance, elle est élue en 1982 à la Commission exécutive de la CFDT. C’est alors la seule femme de cette instance dirigeante et sa benjamine (35 ans). Elue secrétaire générale adjointe de la CFDT six ans après, elle prend la tête de la confédération en 1992.
– Carole Couvert à la tête de la CFE-CGC –
A tout juste 40 ans, Carole Couvert devient en 2013 la première femme à diriger la confédération des cadres. “Si j’ai un conseil à donner aux femmes, c’est +Allez-y!+”, déclarait cette ancienne de chez GDF-Suez. Mais avant de se lancer dans cette “belle expérience”, il faut “épaissir sa cuirasse” car en tant que femme, on “prend des coups”, soulignait celle qui a été poussée vers la sortie en 2016 en raison de querelles internes de personnes au sein de son organisation.
– Bernadette Groison à la FSU –
Militante depuis 1989, cette professeure en école maternelle dans la banlieue parisienne est issue du SNUipp-FSU, le syndicat des enseignants du primaire. En 2010, elle devient à 48 ans secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire, poste qu’elle occupera jusqu’en 2019.
– Annick Coupé, co-fondatrice de Solidaires –
Ancienne secrétaire régionale de la CFDT-PTT en Ile-de-France, démise de ses responsabilités pour avoir soutenu un conflit à contre-courant de son organisation, Annick Coupé co-fonde en 1988 avec plusieurs centaines de militants la fédération SUD-PTT, dont elle prend la tête. Dix ans après, elle participe à la création de Solidaires dont elle sera la déléguée générale de 2001 à 2014.
A sa suite, l’Union syndicale Solidaires impose une co-délégation paritaire. Se succèdent les binômes mixtes Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel puis Murielle Guilbert et Simon Duteil (depuis 2020).