L’athlète hyperandrogène Caster Semenya est victime de discrimination. C’est ce qu’a estimé la Cour Européenne des droits de l’Homme dans l’affaire qui oppose la sud-africaine de 32 ans, empêchée de participer à certaines courses parce qu’elle refuse un traitement pour faire baisser son taux de testostérone, à la Suisse.
Selon la Fédération internationale d’athlétisme, Caster Semenya présente le schéma chromosomique masculin XY, ce qui lui donne un avantage injuste sur les autres femmes athlètes. En 2019, les instances sportives internationales ont jugé qu’elle est « biologiquement un homme », bien qu’elle soit estimée comme une personne intersexe.
La justice suisse avait confirmé en 2020, au nom de « l’équité sportive », une décision du Tribunal arbitral du sport forçant la double championne olympique du 800 m, à suivre un traitement hormonal pour baisser son taux de testostérone et obtenir l’autorisation de s’aligner en compétition. « Je suis très déçue par cet arrêt, mais je refuse de laisser World Athletics me droguer ou m’empêcher d’être qui je suis », avait alors réagi la Sud-Africaine, promettant de se battre « pour les droits humains des femmes athlètes. »
Dans une décision rendue avec une majorité de quatre juges contre trois, la CEDH estime que la Suisse a violé l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, relative à l’interdiction de la discrimination, et l’article 8, qui protège le droit au respect de la vie privée.
L’hyperandrogénie
L’hyperandrogénie, plus courante chez les femmes que chez les hommes, est une variation du développement humain se manifestant par des taux élevés d’hormones mâle. Les symptômes peuvent comprendre l’acné, la perte de cheveux, l’augmentation de la pilosité sur le corps ou le visage, une aménorrhée ou dysfonctionnement ovulatoire qui peuvent entraîner l’infertilité. L’obésité, l’hypertension et la transformation de la voix vers les graves font aussi partie des symptômes.
La sportive Caster Semenya présente donc un excès naturel d’hormones sexuelles mâles et mène un bras de fer sans fin avec la Fédération internationale d’athlétisme. Expertises à l’appui, la Fédération a défini en avril 2018 un seuil maximal de testostérone (5 nanomoles par litre de sang) pour concourir avec les femmes sur des distances allant du 400 m au mile (1609 m), et englobant donc le 800 m.
La double championne olympique et triple championne du monde, cible de débats sur son apparence physique, interdite une première fois de compétition pendant 11 mois et contrainte de subir des « tests de féminité », se bat depuis des années pour concourir sans traitement.
Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU lui avait apporté en 2019 un soutien unanime et désapprouvé la réglementation de World Athletics.
« Avantage insurmontable »
Mais le Tribunal fédéral de Lausanne a fait prévaloir « l’équité des compétitions » comme « principe cardinal du sport », au motif qu’un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines « un avantage insurmontable ».
Depuis sa révélation en 2009, la jeune femme a est devenue la porte-étendard des athlètes hyperandrogènes, au coeur d’une controverse opposant équité sportive et droit à la différence.
Cet arrêt de la CEDH n’invalide toutefois pas le règlement de World Athletics et n’ouvre pas directement la voie à une participation de la coureuse sur 800 m sans traitement.