La cinémathèque annule la projection du “Dernier Tango à Paris”

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La projection du film Le Dernier tango à Paris (1972) était prévue par la Cinémathèque française dans le cadre d’une rétrospective Marlon Brando. La projection est finalement annulée 24 heures avant sa diffusion. Cette décision intervient après une vive polémique sur la scène de viol impliquant l’actrice Maria Schneider, tournée sans son consentement.

La cinémathèque face à #MeToo

La Cinémathèque justifie l’annulation en invoquant un “souci d’apaisement des esprits” et les “risques sécuritaires encourus”. Frédéric Bonnaud, le directeur de l’institution, souligne qu’”une projection précédée d’un débat devenait un risque tout à fait disproportionné”. Des menaces de violence ont été signalées. Ce risque rend la situation dangereuse tant pour le public que pour le personnel. “Nous ne pouvons prendre de risques avec la sécurité du personnel et du public”, ajoute-t-il, précisant que la Cinémathèque n’est “pas un camp retranché”.

La décision de la Cinémathèque fait écho à une situation similaire survenue en 2017, lorsque l’institution annule une rétrospective consacrée au cinéaste Jean-Claude Brisseau, après sa condamnation pour harcèlement sexuel. Cette nouvelle annulation intervient quelques jours après le procès de Christophe Ruggia, réalisateur jugé pour des agressions sexuelles sur l’actrice Adèle Haenel, quand elle avait entre 12 et 14 ans. La Cinémathèque semble, à travers ces choix, naviguer avec précaution dans un contexte où les violences sexuelles dans le cinéma sont de plus en plus dénoncées.

Une scène de viol et un traumatisme qui résonne encore

Le Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci, qui raconte la relation entre un veuf américain et une jeune femme à Paris, est devenu tristement célèbre pour sa scène de sodomie non consentie. Si la scène était simulée, elle a été imposée à Maria Schneider sans qu’elle en soit informée à l’avance, ce qui a engendré un traumatisme profond. Le réalisateur et l’acteur Marlon Brando ont, par la suite, reconnu avoir planifié cette scène sans le consentement de l’actrice.

Dès les années 70, Maria Schneider dénonce ce tournage, qualifiant la scène de double viol, perpétré à la fois par Brando et Bertolucci. Cette violence est mise en lumière par le mouvement #MeToo, plusieurs actrices hollywoodiennes, dont Jessica Chastain, dénonçant le traitement infligé à Maria Schneider. “À tous ceux qui ont aimé le film, vous êtes en train de regarder une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans”, a-t-elle exprimé sur les réseaux sociaux.

Appels au respect de la parole de la victime

L’annulation provoque également l’indignation de nombreuses voix, notamment celle de l’actrice Judith Godrèche, figure du mouvement #MeToo en France. Sur Instagram, elle a exprimé sa colère face à l’absence de contextualisation du film et au manque de respect envers Maria Schneider, décédée en 2011 après une vie marquée par les traumatismes du tournage. “Il est temps de se réveiller chère Cinémathèque et rendre aux actrices de 19 ans (l’âge de Maria Schneider au moment du tournage, ndlr) leur humanité en vous comportant humainement”, a-t-elle écrit.

Le collectif 50/50, qui milite pour la parité dans le cinéma, applle la Cinémathèque à organiser une “médiation réfléchie et respectueuse” avant toute projection du film. De son côté, le syndicat SFA-CGT réaffirme que “filmer et diffuser un viol reste répréhensible”, soulignant que “nous savons désormais la portée de cette scène” et qu’il est impossible de “faire semblant de ne pas comprendre”. Cependant, le syndicat précise aussi qu’il respectait la liberté d’expression.

La Cinémathèque prône la liberté de programmation

Malgré les polémiques, Frédéric Bonnaud insiste sur le fait que le film avait été projeté “sans problème” en 2017, en hommage à son chef opérateur, et qu’il continuerait d’être diffusé en dehors du cadre de la Cinémathèque. “Ce film aura réussi à faire deux fois scandale à plus de 50 ans de distance”, a-t-il conclu, indiquant que la question de sa projection demeurait complexe dans un contexte où la réflexion sur les violences sexuelles au cinéma est plus vive que jamais.

L’annulation de la projection de Le Dernier tango à Paris soulève des questions profondes sur la manière dont le cinéma doit aborder des œuvres marquées par des actes de violences réelles. Si la liberté d’expression et la réflexion sur l’histoire du cinéma sont des valeurs essentielles, il semble désormais indispensable de tenir compte des voix des victimes et de contextualiser les œuvres avec le respect qu’elles méritent. Le débat sur la place de ce film dans le patrimoine cinématographique reste ouvert.

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