Des victimes ukrainiennes et des associations dénoncent à Paris les “viols de masse” par des soldats russes en Ukraine, une “politique systématique” destinée selon elles à briser la société de ce pays. Leur objectif : “briser le silence” pour que ce “crime invisible” ne reste pas impuni.
“Je suis survivante et j’ai décidé d’en parler”
Originaire de la région de Donetsk (est), où elle vivait avec sa famille, la fondatrice et dirigeante de l’ONG SEMA Ukraine raconte avoir été arrêtée en 2014, après qu’un mouvement séparatiste prorusse a pris les armes contre les troupes de Kiev.
“Je suis survivante (d’un viol, NDLR) et j’ai décidé d’en parler car cette vérité pourrait sauver d’autres femmes d’expériences terrifiantes”, lance avec émotion Iryna Dovgan, 62 ans, lors d’un point de presse il y a quelques jours à Paris.
Accusée de soutenir l’armée ukrainienne, elle est arrêtée et soumise à de “graves violences”. Cinq femmes témoignent ainsi devant la presse. Elles racontent les tortures et violences sexuelles, infligées par l’armée russe entre 2014 et 2023.
“Une volonté de destruction de la société ukrainienne”
Toutes aident aujourd’hui d’autres “survivantes” de viols au sein de SEMA Ukraine, à l’initiative de ce point de presse aux côtés de l’association “Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre” et de l'”Association défense de la démocratie en Pologne”.
“Dans la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, les viols de masse perpétrés par les soldats russes affichent une volonté de destruction de la société ukrainienne”, visant notamment à ce que les femmes n’aient plus d’enfants ukrainiens, dénoncent ces organisations.
“Ces viols, qui ont commencé dès 2014, se chiffrent par milliers, touchant majoritairement les femmes, mais également les enfants et les hommes, civils ou militaires toujours détenus dans les prisons russes”.
Des détentions en “centre de torture”
En mars, deux ans après l’invasion russe de l’Ukraine, des enquêteurs de l’ONU ont recensé toujours davantage de civils tués, de torture et de violences sexuelles infligées aux Ukrainiens. Lioudmyla Housseïnova, militante des droits humains, est restée dans sa ville natale de Novoazovsk après l’occupation par des troupes russes en 2014.
Arrêtée en octobre 2019 à Donetsk en raison de ses positions pro-ukrainiennes, elle est détenue en captivité pendant trois ans et 13 jours dans différentes prisons séparatistes, dont un “centre de torture”, selon SEMA Ukraine. “Imaginez que vous êtes dans une salle presque tout le temps dans le noir, que vous êtes détenue depuis trois ans, sans voir vos proches, sans aide médicale, sans hygiène”.
“Des mains sales qui vous touchent”
“Imaginez des opérations de fouilles, des mains sales qui vous touchent toutes les parties du corps”, lance Mme Housseïnova, 62 ans, en visio depuis l’Ukraine. “Imaginez qu’un jour quelqu’un entre dans la salle et dit: “C’est toi aujourd’hui qui va servir à un combattant pour lui donner du plaisir”.
“Actuellement, tout cela continue, au XXIe siècle, sur le territoire de l’Ukraine et de l’Europe…” ajoute Mme Housseïnova, libérée en novembre 2022 avec d’autres femmes détenues, lors d’un échange de prisonniers.
Des “milliers” de viols
Il est difficile de chiffrer précisément le nombre de viols, car les ONG “n’ont pas accès aux territoires occupés”, observe Iryna Dovgan, qui évoque des “milliers” de cas. De son côté, le bureau du procureur général d’Ukraine indique avoir enregistré 301 faits de crimes sexuels “commis par les occupants russes” depuis le début de l’invasion. La Russie est accusée de multiples crimes de guerre en Ukraine, qu’elle nie systématiquement.
La “vraie ampleur des cas de violences sexuelles est compliquée à imaginer”, estime la Prix Nobel de la paix Oleksandra Matviichuk, avocate et défenseure des droits humains ukrainienne. Car “encore beaucoup de gens ne parlent pas” et “le système judiciaire ukrainien ne fait que commencer à établir des lois” sur le sujet, note-t-elle.
“C’est notre cri et notre appel à l’aide”
Dans les villages où SEMA Ukraine fait de la sensibilisation, il persistait auparavant “une mentalité de honte et de stigmatisation à l’égard des victimes de viols, mais on voit des changements et il y a plus d’entraide”, selon Mme Dovgan. “Les femmes acceptent aussi plus de parler car l’agression russe ne se termine pas… et d’autres femmes sont à risque d’être agressées: c’est notre cri et notre appel à l’aide”, lance-t-elle.
“Ces violences sexuelles ne sont pas les conséquences de la guerre mais bien une politique délibérée et systématique qui s’inscrit dans le cadre d’une campagne de persécution à grande échelle contre les civils ukrainiens et les prisonniers de guerre ukrainiens”, a souligné lors du point presse Florence Hartmann.
Elle a été porte-parole et conseillère politique du procureur général des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (2000-2006). Citant l’Allemagne qui a jugé des cas de violences sexuelles dans les prisons syriennes, elle plaide pour que les victimes puissent saisir les juridictions nationales en Europe, en vertu des dispositifs existant en matière de compétence universelle. “Pour que ce crime invisible ne reste pas impuni, il faut briser le silence”, lance-t-elle.
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