La « grande oubliée » du procès des viols de Mazan, c’est Caroline Darian, la fille de Dominique Pelicot. Lors de sa dernière prise de parole à l’audience d’Avignon, elle a exprimé son sentiment d’invisibilité dans cette affaire. Convaincue d’avoir été droguée et violée par son père, comme sa mère Gisèle, elle a livré un récit bouleversant de sa quête de justice et de reconstruction personnelle.
« La seule différence entre elle et moi, c’est le manque de preuves »
Caroline Darian, âgée de 45 ans, s’exprime avec des mots empreints de douleur. « La seule différence entre elle et moi, c’est le manque de preuves me concernant. Pour moi, c’est un drame absolu », déclare-t-elle , évoquant sa mère Gisèle, victime pendant une décennie de viols orchestrés par son mari Dominique. Ces abus, facilités par l’administration de puissants anxiolytiques, ont permis à Dominique Pelicot de livrer sa femme auprès d’hommes recrutés sur internet. Les faits ont éclaté en 2020, faisant éclaté la vie de toute une famille.
Caroline Darian a rappelé que sa vie est « suspendue depuis quatre ans ». Dans son livre Et j’ai cessé de t’appeler papa, elle retrace son parcours pour comprendre et surmonter les traumatismes infligés par son père. Pour elle, un doute terrible persiste : les images découvertes par les enquêteurs dans l’ordinateur de Dominique Pelicot montrent Caroline nue, inconsciente, et parfois vêtue de sous-vêtements appartenant à sa mère. « Depuis, je suis convaincue que j’ai été droguée par mon père », a-t-elle confié. Aucun autre élément n’a permis de conclure à un viol, ce que Dominique Pelicot continue de nier fermement.
« Tu mourras seul dans le mensonge »
Les premières semaines du procès, débuté en septembre, ont été particulièrement éprouvantes pour Caroline, qui vit et travaille en région parisienne. Après ces audiences initiales, elle a ressenti le besoin de s’éloigner physiquement des débats. « J’ai demandé à rentrer en clinique pour espérer retrouver la paix intérieure, car je sais que je n’aurai jamais mes réponses », a-t-elle expliqué.
Interpellé sur les accusations d’inceste portées par sa fille, Dominique Pelicot a nié toute culpabilité, tout en admettant avoir diffusé des photos d’elle nue sur les réseaux sociaux. « Caroline, je ne t’ai jamais rien fait », a-t-il affirmé. Une déclaration immédiatement contredite par sa fille, en larmes : « Tu mourras dans le mensonge ! Seul, seul dans le mensonge Dominique Pelicot ! »
Face à son père, elle a exprimé une douloureuse colère. « Tu n’auras jamais l’amour suffisant à l’égard de ta fille », a-t-elle lancé avant de dénoncer les « dossiers dégueulasses » contenant des images d’elle. « Tu ne me regardes pas comme un père regarde sa fille, mais de manière incestueuse. Mais tu n’auras jamais le courage de dire la vérité. » Ce face-à-face est emblématique de la souffrance des victimes d’inceste, où le besoin de réponses se heurte souvent au silence et au déni.
Un combat pour toutes les victimes
« Les Gisèle Pelicot, c’est 1 % des victimes », dénonce Caroline Darian. Ces paroles résonnent bien au-delà de sa propre histoire. En se battant pour que la justice reconnaisse les spécificités de la soumission chimique, la fille de Dominique Pelicot donne une voix aux nombreuses victimes anonymes.
Pour Caroline Darian, l’engagement est devenu une voie de survie. Depuis la révélation des faits en 2020, elle œuvre activement pour soutenir les victimes de soumission chimique, un phénomène encore méconnu mais aux conséquences dévastatrices. « Si j’arrive à m’en sortir, c’est parce que je m’engage à travers mon association », a-t-elle expliqué. Elle milite pour la reconnaissance de ce mode opératoire dans les crimes sexuels et réclame des mesures adaptées en France.
Caroline considère ce procès comme un moment crucial dans l’histoire judiciaire française : « C’est aussi le procès historique de la soumission chimique en France », a-t-elle affirmé. Consciente des sacrifices que cet engagement implique, elle poursuit néanmoins sa mobilisation : « J’œuvre en coulisses, j’interpelle les pouvoirs publics. Mais à quel prix ? Celui de ma santé mentale, au prix de ma survie et de ma réparation personnelle. »
Son objectif est clair : obtenir des mesures concrètes pour lutter contre la soumission chimique en France et mieux protéger les victimes. Ce combat, qui dépasse son histoire personnelle, est devenu une raison de vivre dans un contexte où elle peine encore à trouver des réponses sur son propre passé.
Une ombre sur le procès
Si le procès des viols de Mazan met en lumière les crimes atroces commis par Dominique Pelicot sur Gisèle Pélicot, il révèle également les failles du système judiciaire face aux cas complexes de violences sexuelles. Caroline Darian, bien qu’étant une victime indirecte mais potentiellement directe, reste en marge de l’accusation principale. Cela illustre les défis pour obtenir justice lorsque les preuves matérielles sont absentes ou insuffisantes.
Le témoignage de Caroline interpelle sur l’importance de mieux accompagner les victimes et de leur offrir un espace où elles peuvent être entendues et reconnues. Sa douleur et sa détermination rappellent que la justice ne se limite pas à condamner les coupables, mais doit aussi aider les survivantes à reconstruire leur vie.