Il y a cinq ans, Adèle Haenel brisait le silence pesant du cinéma français en accusant publiquement le réalisateur Christophe Ruggia d’agressions sexuelles lorsqu’elle avait 12 ans. Un geste qui a ouvert la voie au #MeToo français. Aujourd’hui, alors que Christophe Ruggia est jugé, l’actrice, désormais retirée du cinéma, témoigne en tant que partie civile.
Une carrière bouleversée par des agressions sexuelles à 12 ans
L’actrice aux rôles engagés et affirmés
Traumatisée par les agressions répétées de Christophe Ruggia lors du tournage du film Les Diables, elle met de côté le cinéma et poursuit des études de commerce, portant son silence comme un poids, comme tant d’autres victimes.
Six ans après, Adèle Haenel revient devant la caméra, grâce à Céline Sciamma, réalisatrice féministe. Dans Naissance des pieuvres (2007), elle renaît à l’écran, interprétant une adolescente en quête d’identité et de désir. Ce rôle marque le début d’une carrière fulgurante.
Adèle Haenel se distingue par des choix de rôles audacieux, incarnant des personnages complexes et puissants. Elle joue une prostituée dans L’Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello, une militante d’Act Up dans 120 battements par minute (2017) de Robin Campillo, ou encore une rebelle préparant l’apocalypse dans Les Combattants (2015), pour lequel elle reçoit son deuxième César.
Lorsqu’elle obtient un César pour Suzanne en 2014, elle fait son coming out en remerciant sa compagne, Céline Sciamma : « Parce que je l’aime. » Cette collaboration se poursuit dans Portrait de la jeune fille en feu (2019), œuvre féministe majeure saluée pour sa représentation du désir féminin, exempte du regard masculin.
Dénoncer les agresseurs : « Quelque chose de bien pour le monde »
En 2019, Adèle Haenel brise le silence. Dans une interview à Mediapart, elle accuse Christophe Ruggia d’agressions sexuelles. Le réalisateur nie les faits, mais l’actrice tient bon, recevant le soutien de personnalités comme Marion Cotillard et Julie Gayet. « Je crois que j’ai fait quelque chose de bien pour le monde et pour mon intégrité », déclare-t-elle.
Son témoignage secoue l’industrie cinématographique. Dans son sillage, d’autres voix s’élèvent, notamment contre Roman Polanski, accusé de viol. Pourtant, les obstacles persistent. En 2020, alors qu’Adèle Haenel est nommée pour un César grâce à Portrait de la jeune fille en feu, l’Académie sélectionne également J’accuse de Polanski, un réalisateur accusé de multiples agressions sexuelles. Ce choix suscite l’indignation des féministes, mais Polanski remporte le prix. Adèle Haenel quitte la salle avec fracas, lançant un ironique « Vive la pédophilie ! »
Ce geste symbolique la place au premier plan de la lutte contre les violences sexuelles. Virginie Despentes la qualifie de « guerrière », inspirant les femmes à se lever contre l’injustice.
L’engagement avant la carrière
L’épisode des César marque un tournant. Adèle Haenel annonce son retrait du cinéma, dénonçant un milieu qu’elle juge complice des agresseurs et en décalage avec ses valeurs. « Le cinéma collabore avec l’ordre mortifère, écocide et raciste du monde », affirme-t-elle dans une tribune publiée par Télérama en 2023, juste avant le Festival de Cannes.
Elle se consacre désormais au théâtre, aux côtés de la metteuse en scène Gisèle Vienne. En parallèle, elle poursuit son engagement politique à gauche, militant contre les violences sexuelles, le racisme et le capitalisme.
« Peu importe si cela nuit à ma carrière », avait-elle déclaré en 2019. Ce choix, bien que coûteux, a permis à de nombreuses voix de se faire entendre. Adèle Haenel, loin des projecteurs, incarne aujourd’hui une figure emblématique de la résistance féminine, prouvant que la lutte pour la justice et l’égalité dépasse les projecteurs.
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