Manque de preuves, de reconnaissance et souvent de moyens : Nadia Kribeche, avocate au Barreau de Paris, explique au micro de Cynthia Illouz, fondatrice de The Women’s Voices; la difficulté que connaissent les femmes à obtenir justice en matière d’agressions et de harcèlement, notamment au travail.
Les cas révélés de harcèlement moral et sexuels se multiplient dans le travail. Est-ce que vous en traitez souvent?
C’est la majorité de mes dossiers au travail. J’ai souvent des cas de harcèlement moral managérial, où les femmes se rendent compte qu’elles sont mises au placard. Elles subissent des actes discriminatoires en raison de leur genre.
La difficulté c’est de prouver qu’elles sont visées en tant que femme. Il faut prouver d’abord qu’il y a harcèlement moral, chose assez mal retenue par les juges. Pour le prouver, il faut la caractérisation de ce harcèlement par des actes répétés.
L’employeur doit prouver qu’il a tout mis en œuvre pour prévenir et sanctionner les actes qui portent atteinte à la dignité du salarié. Ce qui est difficile, c’est d’ajouter la dimension du genre et prouver que c’est parce qu’elles sont des femmes, qu’elles ont été mises au placard.
Quel genre de cas est le plus délicat à traiter ?
J’ai une affaire par exemple ou ma cliente est cadre supérieure et ne travaille qu’avec des hommes. Donc son supérieur hiérarchique est un homme, son collègue aussi, etc. Elle est alors écartée de son travail alors que rien ne lui est reproché comme faute depuis depuis son embauche.
Il est évident dans ce dossier, d’après les pièces qu’elle m’a apportées, qu’elle est mise à l’écart parce qu’elle une femme, autoritaire, et manifestement trop compétente. Et donc ils ont fait monter un salarié, qui a un niveau de compétence moins important qu’elle. Ici nous sommes typiquement dans un cas où il va être très difficile de prouver cela parce que je n’ai pas de preuves suffisantes pour caractériser un harcèlement qui est lié au genre.
Elle a entendu qu’elle était mise à l’écart en raison de son genre, mais sans micros à l’intérieur des entreprises, on va avoir des difficultés à parler d’un harcèlement moral sexiste. Pour aboutir à une sanction, il faut établir des stratégies de requalification afin de permettre à la victime d’être indemnisée.
Est-ce que c’est quand les femmes commencent à avoir trop d’enfants, quand elles vieillissent, il y a une mise au placard ?
Tout à fait. Il y a une forme de discrimination liée à l’âge dans le travail, mais elle touche aussi les hommes. Mais quand on est une femme qui arrive à un certain âge, oui j’ai pu remarquer que c’est double peine.
Et évidemment, l’arrivée d’un enfant, la maternité, ont des conséquences sur la carrière. Ce n’est toujours pas dans les mœurs de concilier les deux. Le terme est désuet, mais finalement on se rend compte en travaillant dans ces affaires, que finalement ces histoires de mœurs, c’est toujours un petit peu là.
Que pensez-vous du fait de changer la définition du viol ?
Je ne pense pas que la justice se transforme parce que l’on va intégrer le consentement dans la définition du viol. D’abord parce que dans les affaires d’agressions sexuelles, la question du consentement elle se pose systématiquement.
C’est une question que les juges vont poser. C’est une stratégie pour la défense en face de dire qu’une victime a consenti. Là où c’est intéressant, c’est que cela peut être un outil pour la victime, qui pourra expliquer elle-même pourquoi elle n’a pas consenti.
Qu’est-ce qui bloque selon vous pour obtenir davantage de condamnations dans les affaires de viols ?
La société est en train de bouger. Les politiques se sont évidemment emparés du sujet, mais dans la justice, le droit inscrit préserve une mentalité conservatrice des stéréotypes, des préjugés, etc. Il y a aussi évidemment une difficulté pour les magistrats et pour la police de travailler ensemble sur des dossiers. On sait que les magistrats font parfois du bricolage parce qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux. Ils vont donc hiérarchiser les dossiers en fonction de leur médiatisation ou autre.
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