Dans ” Le coût de la virilité” publié aux édition Anne Carrière, Lucile Peytavin, historienne, fait le constat que les sommes dépensées à cause de ces comportements brutaux représentent 95 milliards d’euros par an, en France. Le calcul détaillé réalisé par la jeune femme dans son ouvrage, prend en compte le prorata attribué aux budgets de la Justice, de la prison, de la police et des hospitalisations. The Women’s voices reçoit l’auteure.
Comment êtes-vous arrivées à écrire au sujet de ces chiffres de la violence?
Je suis tombée sur le pourcentage de la population carcérale masculine, qui représente 96,3 % du total. Cela passe complètement inaperçu dans la société. Finalement les prisons sont construites pour les hommes. Qu’est-ce que cela veut dire de la violence dans notre société et de l’implication des hommes dans cette violence ?
Les statistiques sont très claires : les hommes sont responsables de l’immense majorité des chiffres de la criminalité. Ils représentent 83 % des mis en cause par la justice, 90 % des personnes condamnées. La population carcérale est à 96,3% masculine. Quand on regarde les effractions, les hommes sont surreprésentés dans tous les types d’infractions et notamment les plus graves. 86 % des auteurs d’homicides, 99 % des auteurs de viols, 97 % des auteurs d’agressions sexuelles, 84 % des auteurs d’accidents mortels sur la route, 95% d’auteurs de vols avec violence etc.
Lorsque la police se déplace, c’est pour intervenir sur des délits que les hommes ont commis. Cela coute beaucoup d’argent à la société. Je me suis alors lancée dans, ce que j’ai appelé, le calcul du « coût de la virilité ». Ces comportements virils sont finalement responsables de la quasi-totalité du budget de la Justice, de l’administration pénitentiaire, des forces de l’ordres mais aussi des urgences et des hospitalisations.
Vous avez aussi mesuré les coûts humains de ces violences, quels sont-ils ?
Même si les vies humaines sont inestimables, on peut, grâce à des statistiques, mesurer les coûts de ces violences, concernant les victimes. Quand on utilise ces outils, on chiffre alors une vie à un peu plus de 3 millions d’euros, un blessé grave à 400.000 euros et un blessé léger à 16.000 euros.
Effectivement, les coûts pour les victimes sont les plus élevés. J’ai estimé pour les violences volontaires, le cout de la virilité à 18 milliards d’euros par an, sur les 26 qui sont dépensés au total.
Par exemple, pour les crimes et violences sexuelles, j’ai estimé ce cout à 17,8 milliards d’euros par an.
Sur les réseaux sociaux, vous avez mentionné le coût de la virilité de Vladimir Poutine, que vouliez-vous dire?
Vladimir Poutine est un très bon exemple d’un homme qui revendique sa virilité. On l’a vu chevaucher torse nu sur un cheval, mais aussi mépriser les femmes ou tenir des propos ouvertement sexistes. Effectivement, je crois qu’il y a un lien qui peut être fait entre virilité et la façon dont les dirigeants mènent les politiques internationales. Elles reposent sur des rapports de domination, sur des rapports d’asservissement des autres peuples. On dit que ce sont des problèmes géopolitiques mais la Russie pourrait tout à fait continuer à très bien vivre sans devoir s’octroyer d’autres territoires. On est ici purement sur des délires qui justifient sa domination sur d’autres peuples. Les politiques internationales pourraient être étudiées à l’aune de ces rapports de domination et de virilité. Les guerres et le terrorisme coutent 14.000 milliards de dollars chaque année dans le monde, on aurait donc beaucoup à gagner à faire ce travail.
Dans votre ouvrage, vous consacrez un long chapitre aux racines éducatives de cette violence, que peuvent faire des parents ?
Il faut davantage sensibiliser les parents pour qu’ils se rendent compte des mécanismes à travers lesquels ils éduquent leurs garçons. Cette éducation aura des conséquences sur les comportements des garçons et des hommes qu’ils deviendront, tout au long de leur vie. On est dans une culture mondialisée et les objets culturels transmettent une culture virile. A travers l’image des héros, les hommes s’adonnent à la violence, cette violence est présente dans les livres, dans les films et elle est souvent légitimée. Les garçons s’identifient à ces personnages et peuvent développer une appétence pour cette violence.
Concernant les schémas éducatifs, c’est vrai qu’il faudrait transmettre d’autres valeurs à nos enfants, notamment des valeurs beaucoup plus humanistes à nos garçons, et travailler sur les origines de ces comportements, de cette délinquance, de cette criminalité. Des dizaines de milliards d’euros sont dépensés chaque année, des moyens financiers, en matériel, des moyens humains sont mobilisés. Travailler sur les causes permettrait de supprimer une grande partie la violence et d’économiser des vies humaines et des milliards d’euros. On ne vivrait plus dans la même société !
Hormis l’éducation, quelles sont les pistes que l’on peut envisager pour changer cette situation ?
La première chose serait de produire des études qui prennent en compte le différentiel de responsabilité entre les hommes et les femmes, et qui estiment les coûts humains, financiers. Il y a très peu d’études sur l’insécurité à partir de ce critère du sexe, qui est pourtant le premier critère qui définit le profil des délinquants et criminels, quel que soit la tranche d’âge, le niveau d’étude, la zone géographique. Il y a toujours un gouffre entre les hommes et les femmes sur ce sujet, ça serait donc important de le prendre en compte, pour pouvoir agir sur les origines.
Il faudrait également que tous les personnels de la justice, des forces de l’ordre, les hauts fonctionnaires, aient conscience de cet aspect et aient connaissance des études qui seraient produites sur le sujet.
Pour les objets culturels, il faudrait imposer une signalétique sur les livres, les films, comme on le fait pour limiter l’accès des mineurs ou de certaines tranches d’âge à certains contenus, il faudrait signaler que ce sont des objets qui véhiculent des valeurs viriles notamment à travers des modèles de héros masculins agressifs, violents etc…
Pour citer une autre proposition : limiter l’accès à la pornographie pour les moins de 18 ans. Il n’y a pas ou peu d’éducation sexuelle qui est faite pour les enfants et on sait qu’ils regardent de la pornographie très tôt. A partir de l’âge de 13 ans, ces images construisent ces rapports de domination entre les hommes et les femmes. L’objectification du corps des femmes produit inévitablement des violences sexuelles. Lucile Peytavin donne de nombreuses conférences et vient de créer un organisme appelé « Genre et Statistique » avec Ginevra Bersani. Il a pour but de produire des données sur les différences entre les hommes et les femmes, sur les questions d’insécurité et sur les couts qui en découlent afin de pouvoir agir sur les origines et contribuer à déconstruire « une masculinité toxique. »
“Le Coût de la virilité” Lucile Peytavin, Editions Anne Carrière, 17,50€