Anne-Cécile Mailfert : “nous souhaitons rester sur un Code pénal qui se concentre sur les actions de l’agresseur. c’est lui qui doit être jugé, et non la victime”

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Mathéa Mierdl

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Présidente de la Fondation des Femmes, Anne-Cécile Mailfert est très engagée en faveur de la lutte contre les violences sexuelles. Au micro de Cynthia Illouz, fondatrice du média The Women’s Voices, elle explique ce qui est demandée dans cette loi intégrale par les organisations féministes.

Vous demandez une loi intégrale sur la question des violences faites aux femmes. En quoi consiste-t-elle ?

Les mots “loi intégrale” n’ont pas de définition réelle. Ce que l’on souhaite, c’est un ensemble de mesures intégrées, d’où le nom de “loi intégrale”. Elle comprend des aspects législatifs, réglementaires, circulaires et budgétaires.

On veut essayer de combler les failles. On souhaite réaliser une grande avancée, un grand pas en avant dans la lutte contre les violences sexuelles en particulier. Il y a des aspects de procédure pénale sur lesquels on pourrait améliorer les choses. Aujourd’hui, quand vous portez plainte pour viol, il va y avoir une enquête sur toute votre vie sexuelle. À notre sens, la vie sexuelle de la victime n’a aucun intérêt lorsqu’il s’agit de juger un viol commis par un agresseur à un moment donné. Le budget aussi est à revoir. Il n’y a qu’environ 13 millions d’euros spécifiquement dédiés à la lutte contre les violences sexuelles en France, dans le budget de l’État. Après notre rapport “Où est l’argent contre les violences faites aux femmes”, nous savons qu’il faudrait au minimum 350 millions d’euros pour lutter réellement.

Vous mentionnez des changements au niveau de la loi, mais sans y inclure le consentement ?

Le sujet du consentement fait débat au sein même du secteur féministe. Ce qui est sûr, c’est que toutes les associations s’accordent à dire qu’en modifiant le Code pénal, cela ne changerait rien. Le problème, ce n’est pas tellement la loi. Ce qui pose problème, c’est la manière dont le viol est jugé, la façon dont les agresseurs se défendent, et la culture du viol, utilisée par la défense pour humilier la victime et atténuer la responsabilité des agresseurs.

Changer le Code pénal seul ne résoudrait pas non plus le problème du manque d’enquêtes et du fait que les preuves ne sont pas suffisamment collectées. Il se pose aussi la question de la manière dont on introduit le consentement dans la loi. Aujourd’hui, la loi définit le viol comme “une pénétration sexuelle par force, contrainte, menace et par surprise”. Si l’on change cette définition en disant qu’un viol est une relation non consentie, il faudra prouver que le rapport n’était pas consenti. Ce serait très compliqué et cela pourrait se retourner contre les victimes. À la Fondation des Femmes, nous souhaitons rester sur un Code pénal qui se concentre sur les actions de l’agresseur. C’est lui qui doit être jugé, et non la victime. Notre position serait plutôt d’améliorer la définition en introduisant le mot “consentement” sans faire s’effondrer la jurisprudence.

Les classements sans suite sont-ils réellement dus à un manque de moyens ou à un manque de volonté d’enquêter ?

C’est difficile à dire. Nous avons analysé le temps qu’il faudrait en moyenne par enquête, et sur combien d’enquêtes on devrait enquêter… Si l’on voulait faire les choses correctement, il faudrait embaucher 5 000 enquêteurs. Les statistiques de la base de données police-gendarmerie accessibles en ligne montrent qu’on est passé, en 2017, de 40 000 viols et tentatives de viol à 71 000. Il y a donc une explosion du nombre de viols sur lesquels la gendarmerie est censée enquêter. Cependant, on sait qu’avec des moyens constants, il leur est malheureusement impossible d’enquêter sur toutes les plaintes. C’est absolument impossible avec les seuls moyens dont ils disposent. Aujourd’hui, huit ans après #MeToo, nous avons un traitement judiciaire plus médiocre qu’avant car les plaintes ont augmenté, mais pas les moyens des forces de l’ordre.

#5000VOICES est une initiative rendue possible grâce à nos partenaires EngieAccor, Transdev, La Fondation RAJA, Aurel BGC, Veolia et Mastercard.

Retrouvez l’intégralité de l’interview en podcast sur SoundCloud : 

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