L’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, décède à l’âge de 90 ans. Elle laisse derrière elle un héritage riche et complexe dans la littérature francophone, après une vie de combat pour sa liberté et pour l’exploration des identités antillaises et noires.
La quête d’identité de Maryse Condé
Née à Pointe-à-Pitre en 1934, elle a exploré dans une trentaine de livres, les thèmes de l’Afrique, de l’esclavage et des identités noires. Sa mère, institutrice, bannissait le créole au profit du français, ce qui a marqué l’enfance de Maryse. Elle n’avait jamais entendu parler de l’esclavage ni de l’Afrique et ne se rendait pas compte de sa propre couleur de peau jusqu’à son arrivée à Paris à 19 ans.
À Paris, elle réalise l’importance de sa couleur de peau dans une France en pleine effervescence intellectuelle et politique. C’est là qu’elle rencontre Aimé Césaire, qui lui ouvre les yeux sur son identité et son héritage africain.
“Je comprends que je ne suis ni Française, ni Européenne. Que j’appartiens à un
autre monde et qu’il me faut apprendre à déchirer les mensonges et à découvrir la
vérité de ma société et de moi-même”, se remémore-t-elle dans un documentaire, “Une voix singulière”, qui lui est consacré en 2011.
Une vie de famille mouvementée
Jeune adulte, elle rencontre un journaliste haïtien qui la quitte en apprenant sa
grossesse. Mère célibataire d’un petit garçon, elle doit renoncer à Normale Supérieure. En quête de respectabilité, elle épouse trois ans plus tard, Mamadou Condé, un apprenti comédien guinéen.
L’Afrique devient la destination impérative dans cette quête de ses origines. Avec leur première fille et son garçon, ils s’installent dans la Guinée tout juste indépendante de Sékou Touré.
Elle vit une nouvelle passion avec un autre Haïtien à Paris, puis retourne en Guinée
auprès de son mari, alcoolique, où elle attend une deuxième puis une troisième fille. A Conakry, la vie est dure: “Quatre enfants à nourrir et à protéger dans une ville où il n’y a rien, c’était pas facile”.
Maryse Condé, de l’Afrique à l’écriture
C’est seulement à l’âge de 42 ans, après des années de tumultes en Afrique, que Maryse Condé trouve enfin la stabilité nécessaire pour se consacrer à l’écriture. Grâce à son nouveau compagnon rencontré au Sénégal, Richard Philcox, qui
deviendra son mari et traducteur, elle réalise sa vocation, l’écriture, en quittant l’Afrique en 1970. Elle se lance aussi dans un doctorat de lettres à Paris. Sa thèse, soutenue en 1976, s’intitule “Stéréotype du noir dans la littérature antillaise Guadeloupe-Martinique”.
La même année, elle publie “Hérémakhonon”, puis “Ségou” (1984-1985), un best-seller sur l’empire bambara au XIXe siècle au Mali. De sa volonté de “réhabiliter l’image bafouée des Noirs” et de retrouver ses origines naissent “Moi, Tituba, sorcière noire de Salem” (1986) et “La vie Scélérate” (1987).
Plusieurs fois citée pour le Prix Nobel de Littérature
Par la suite, elle abandonne les reconstitutions historiques avec “Traversée de la mangrove”
(1989), “Célanire cou-coupé”(2000) ou “Histoire de la femme cannibale” (2005).
A New York, où elle vit 20 ans, elle ouvre à Columbia University un centre d’études
francophones. Elle y enseigne une “littérature en français qui ne parle pas de la
France”. Elle est très connue aux États-Unis.
Malgré plusieurs fois citée pour le Nobel de Littérature, Maryse Condé ne l’obtient jamais. Toutefois, en 2018, elle reçoit le “nouveau prix de littérature” à Stockholm, un honneur mérité pour une carrière dédiée à l’exploration des identités noires et à la dénonciation des injustices.
“Pour nous, Antillais, ce qui compte, c’est le peuple que nous sommes devenu”
Cette femme massive aux cheveux coupés courts refuse alors tout sentiment de fierté régionale, raciale ou communautaire. “Il est grand temps de dire que l’endroit dont nous venons n’a pas tellement d’importance. Pour nous, Antillais, ce qui compte, c’est le peuple que nous sommes devenus, ce que nous avons comme culture à présenter au reste du monde”. Après la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité en 2001, elle préside en France le comité pour la mémoire de l’esclavage
Indépendante d’esprit et engagée dans la lutte contre les préjugés, Maryse Condé a toujours remis en question les notions de race et d’identité. Critiquant le concept de “négritude” popularisé par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor, elle souligne les dangers de l’uniformisation des expériences noires.
“Elle a donné l’envie à énormément d’écrivains de se lancer”
Atteinte d’une maladie neurodégénérative, Maryse Condé a choisi de passer ses dernières années dans la tranquillité de la campagne provençale. Dictant son dernier livre à une amie, elle a continué à explorer de nouveaux horizons littéraires jusqu’à la fin.
“J’ai toujours travaillé avec elle dans ses différentes maisons d’édition et j’étais
profondément admiratif de son rayonnement, de son courage. Elle a donné l’envie à
énormément d’écrivains de se lancer et de combattre avec elle”, a déclaré à l’AFP son éditeur, Laurent Laffont.
“La Grande Dame des Lettres mondiales, Maryse Condé, tire sa révérence, nous
léguant une œuvre portée par la quête d’un humanisme fondé sur les ramifications de nos identités et les fêlures de l’Histoire”, écrit sur X l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou.
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